Adamou Idé, une dizaine d'années plus jeune qu'Alfred Dogbé, est poète et romancier en français et en zarma.
Extraits du texte publié par Cultures Sud
A te ga si !
(Il a été, il n'est plus !)
On doit apprendre à le nommer autrement : feu Alfred Dogbé ! Puisqu'il vient de conclure un bail avec l'éternité. Lui qui n'avait pas de temps pour lui mais pour les autres, pour le théâtre, pour les jeunes surtout qu'il formait à l'écriture dramatique à travers des innombrables ateliers. Il faut dire qu'il était parfaitement conscient du défi qu'il voulait relever : redonner souffle au théâtre nigérien, professionnaliser le secteur ! Le Niger fut un grand pays de théâtre avec les écrits de Boubou Hama et d'André Salifou qui sont les plus connus. Mais cet art a perdu son auréole et Alfred Dogbé avait rouvert le chantier de sa renaissance avec d'autres
jeunes auteurs et patrons de compagnies.
... Je l'avais connu après mon retour à Niamey en 1996. Il avait lu Cri Inachevé, mon premier recueil de poèmes. Lieu de la rencontre : Centre Culturel franco-nigérien de Niamey ! À l'issue de notre entretien, il me proposa d'aller à la rencontre des élèves puisqu'il était encore enseignant de français. Il organisa plusieurs rencontres : Collège Sonni Ali Ber, Collège Lako, Lycée de la Mission Catholique ; puis en tant
qu'auteur lui-même, nous avions animé ensemble une séance d'échanges avec les élèves de seconde du Lycée Français de Niamey.
C'est peu dire qu'il y avait une certaine complicité entre nous - il m'appelait affectueusement grand-frère – et lors de mes moments de découragement, dont je lui parlais, c'était lui qui me reprochait de vouloir baisser les bras.
À vrai dire, c'est par son opiniâtreté qu'il est venu à l'écriture. Un professeur de français incompétent lui avait jeté à la figure ou presque, son premier manuscrit de nouvelle qu'il lui avait présenté pour relecture...Ce geste a suffi à donner des forces à Alfred pour entrer et s'imposer dans le monde des lettres avec un rare brio.
... Je revois encore sur le stand de Culturesfrance devenu aujourd'hui l'Institut Français, l'homme à la petite barbe et aux yeux vifs, toujours souriant et affable mais combien intransigeant dans la pratique de son art. Alfred est issu comme moi d'un pays que nous nous refusons à qualifier de « déshérité ». Le Niger est un pays magnifique qui cultive la tolérance. Ses ressources immenses ne sont pas mises au profit des
populations et voilà notre problème. Et Alfred Dogbé abordait ces questions graves d'injustice sociale et de mal gouvernance non pas avec le sérieux qu'on pouvait attendre, mais sous l'angle de la dérision, de la farce, de la mise en situation des hommes face à eux-mêmes, dans l'absurde. Et je pense qu'il avait eu
raison, tellement les écueils liés à la mentalité des hommes sont grands. Devant l'adversité, il faut savoir s'inventer des chemins d'existence et de parole. De parole libre surtout. C'est ce qu'il a réussi à faire le mieux.
Il me semble en effet que le burlesque et l'absurde sont les armes favorites d'Alfred Dogbé pour séduire son public, dénoncer les maux dont souffrent sa société et participer concrètement au façonnage d'un monde déroutant, qui a faim de solidarité et d'amour de l'autre.
Le monde du Théâtre a perdu un grand créateur. Le théâtre nigérien a perdu un montreur de voie. J'ose espérer que de toutes les graines qu'il a semées - je pense notamment à la toute dernière promotion de jeunes écrivains dramaturges qu'il avaient encadrés récemment – plusieurs porteront les fruits de l'espérance qui lui permettait d'aller toujours plus loin dans son combat pour l'avènement d'une
société plus juste et humaine.
À sa famille éplorée et au monde nigérien des Lettres dans son ensemble, j'adresse mes plus sincères condoléances. Je n'oublie pas l'Institut Français qui l'a toujours soutenu.
Repose en paix d'où tu es, Alfred !
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