Le monde qui m'entoure à Niamey, c'est celui de l'Occident.
Et quand je le regarde, je me dis : Samba Diallo est mort. Samba Diallo,
c'est le personnage de « L'Aventure Ambiguë » de Cheikh-Amidou Kane.
Ce jeune homme que toute la communauté forme et envoie en Occident pour
s'instruire, apprendre à lire, et revenir reconstruire la société africaine. Si
on le prend comme un mythe littéraire, comme un rêve social, ce personnage-là
n'existe plus. Aujourd'hui, autour de moi, je vois des jeunes qui veulent
partir de l'Afrique comme on sort d'une maison en feu. La question n'est pas de
savoir pourquoi on part, c'est juste qu'on ne peut plus rester ici. Quelqu'un comme
moi, qui va et qui vient, n'est même plus crédible quand il dit que c'est ici
qu'il faut agir. Ils me répondent que c'est facile pour moi dans la mesure où
je suis sûr de repartir. Le discours dominant qu'on reçoit en Afrique c'est :
« Restez chez vous, ne venez pas nous embêter ». Il y a comme une
agression, en dépit des volontés ici et là de coopération. C'est comme la
Cosette de Victor Hugo, qui, devant une vitrine, rêve d'une poupée. Il n'y a
qu'à casser la vitrine. Aujourd'hui, la violence peut passer pour le seul
langage à portée de main. L'Occident ne fonctionne même plus comme un miroir
aux alouettes. Les départs sont plus motivés par la situation désastreuse de
l'Afrique que par celles des sociétés occidentales. Sur place, en Afrique, il
s'agit de réapprendre à regarder autour de soi, à trouver des envies de vivre,
de reconstruire, d'agir et aussi d'apprendre à regarder l'Europe comme un
ailleurs où l'on peut parfaitement rêver d'aller mais comme un des possibles
parmi tous les autres. C'est aussi une forme d'échec du monde éducatif en
Afrique. Dès le départ, on reçoit l'Occident comme modèle. Et c'est là-dessus
qu'il faut travailler. J'ai parlé avec des gens la veille d'une tentative de
voyage clandestin pour l'Europe, ils n'ont même pas le sentiment de prendre des
risques. Le risque pour eux, c'est rester sur place et pourrir. Il faut
réapprendre à croire en l'Afrique, ses terres, ses ressources. Mais c'est un
énorme chantier.
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