samedi 31 mars 2012

Alfred Dogbé & Samba Diallo – Extrait d’un interview réalisé en 2006.

Le monde qui m'entoure à Niamey, c'est celui de l'Occident. Et quand je le regarde, je me dis : Samba Diallo est mort. Samba Diallo, c'est le personnage de « L'Aventure Ambiguë » de Cheikh-Amidou Kane. Ce jeune homme que toute la communauté forme et envoie en Occident pour s'instruire, apprendre à lire, et revenir reconstruire la société africaine. Si on le prend comme un mythe littéraire, comme un rêve social, ce personnage-là n'existe plus. Aujourd'hui, autour de moi, je vois des jeunes qui veulent partir de l'Afrique comme on sort d'une maison en feu. La question n'est pas de savoir pourquoi on part, c'est juste qu'on ne peut plus rester ici. Quelqu'un comme moi, qui va et qui vient, n'est même plus crédible quand il dit que c'est ici qu'il faut agir. Ils me répondent que c'est facile pour moi dans la mesure où je suis sûr de repartir. Le discours dominant qu'on reçoit en Afrique c'est : « Restez chez vous, ne venez pas nous embêter ». Il y a comme une agression, en dépit des volontés ici et là de coopération. C'est comme la Cosette de Victor Hugo, qui, devant une vitrine, rêve d'une poupée. Il n'y a qu'à casser la vitrine. Aujourd'hui, la violence peut passer pour le seul langage à portée de main. L'Occident ne fonctionne même plus comme un miroir aux alouettes. Les départs sont plus motivés par la situation désastreuse de l'Afrique que par celles des sociétés occidentales. Sur place, en Afrique, il s'agit de réapprendre à regarder autour de soi, à trouver des envies de vivre, de reconstruire, d'agir et aussi d'apprendre à regarder l'Europe comme un ailleurs où l'on peut parfaitement rêver d'aller mais comme un des possibles parmi tous les autres. C'est aussi une forme d'échec du monde éducatif en Afrique. Dès le départ, on reçoit l'Occident comme modèle. Et c'est là-dessus qu'il faut travailler. J'ai parlé avec des gens la veille d'une tentative de voyage clandestin pour l'Europe, ils n'ont même pas le sentiment de prendre des risques. Le risque pour eux, c'est rester sur place et pourrir. Il faut réapprendre à croire en l'Afrique, ses terres, ses ressources. Mais c'est un énorme chantier.

Propos recueillis par Mathieu Menossi et Mélanie Carpentier pour Evene.fr - Mars 2006

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire