samedi 19 mai 2012

Le défi


Un « énorme défi » donc, à la fois artistique et politique. 
Le discours d’Alfred sur le festival était d’une grande limpidité – seul viatique pour survivre, cahin-caha, et espérer un passage de relais, vaille que vaille, auprès de la société nigérienne. Un cri d’alarme déguisé en manifeste constructif.
Alfred recherchait la vitesse et la solidarité collective quand le moindre détail relatif à l’organisation d’un festival – à l’échelle de l'Afrique de l'ouest francophone – exigeait son implication et de longues et laborieuses négociations. Depuis 2007, d’édition en édition, il lui a fallu, à lui comme à toute son équipe, résister à l’usure - des efforts de Sisyphe.  Le pire des défis se substituait au défi initial de l’écrivain en quête d’efficacité…

J’avais assisté au lancement du Festival à Niamey avec l’impression de voir s'y dérouler une séquence de western – comme si les 9 mercenaires-saltimbanques de la Compagnie Arène avaient tenté de soulever toute la ville  en prévision d’un assaut… Non pas de l’ennemi mais de l’inconnu… La première édition avait quelque chose d’héroïque, presque fantastique, et j’avais rêvé que la terre entière prenne connaissance de ce prodige. Je lui avais donc demandé de me raconter ce moment. L’entretien se présente sous une forme classique propre à une publication culturelle ; il est forcément daté mais contient des passages remarquablement éloquents.

Extrait :

En 2001, après avoir essayé de travailler comme un auteur en chambre en livrant des textes à des compagnies, je restais insatisfait parce qu'aucune d'entre elles n'avait véritablement d'énergie pour avoir une activité régulière, organisée. Je me suis dit : ce que les autres ne font pas, je vais le faire moi même. J'ai constitué une compagnie pour pouvoir monter un texte. C'était Tiens Bon, Bonkano.  On s'est dit pourquoi ne pas continuer ? C'était de 2001 à 2006.
L'équipe actuelle, composée de 9 personnes, a fait ce constat : sur 365 jours la Compagnie Arène Théâtre n'a jamais réalisé plus 30 spectacles dans une année. Parmi toutes les questions que nous nous posions, la principale était : comment fait-on pour jouer suffisamment, pour nous donner les moyens d'exister comme une véritable compagnie de théâtre ? Où peut-on diffuser nos spectacles ? La réponse est toujours la même : dans les festivals de la sous région en Afrique de l'Ouest. Or, dans tous ces Festivals, quelque chose se passe qui ressemble à une comptine entre compagnies : "Tu m'invites parce que je t'invite". Notre première envie de créer le Festival Emergences venait directement de cela. Monter un festival nous donnerait plus de chance d'être invité par un autre festival ! ça ne suffisait pas pour faire un projet qui tienne la route. Alors on a continué à se questionner…
… Il y avait aussi cette frustration, partagée par toute la compagnie, causée par le fait  d'aller de festival en festival pour se retrouver entre 100 et 150 personnes, toujours les mêmes, à Lomé, à Ouaga, etc., qui s'applaudissent ou se haïssent entre eux. Toujours les mêmes spectacles qui se promènent de la même façon. De quoi se demander : on fait ça pour qui ? Cela nous a amené à questionner Niamey. Si nous voulions nous inscrire dans un projet professionnel, ne serait-ce que d'un point de vue très égoïste, il fallait d'abord déterminer comment il était possible de se construire un avenir professionnel dans cet environnement. La réponse était forcément : en créant un public grâce à une implication des organisations et associations de la ville. C'était de l'ordre de l'évidence. Il fallait qu'on fasse ce Festival à Niamey.

… Le constat d'une large exploration de toute la ville nous a amené à formuler ce préalable : monter ce Festival signifiait la nécessité d'amener les institutions Nigériennes - Etat et collectivités - à s'impliquer dans la production artistique. Il fallait sortir d'une production de parrainage qui consiste principalement à inviter des artistes dans les galas organisés lors de la visite de chefs d'Etat étrangers. C'est seulement par là qu'on peut créer les bases d'une profession.

L'accord de principe de toutes ces institutions, on l'a eu très rapidement et très simplement, mais le passage à l'acte s'est avéré très douloureux : 6 mois après la clôture du festival (au moment de cet entretien), nous n'avons toujours pas encaissé la moitié de la subvention…
Cinquième édition du Festival Emergences. Photo Abdoul Aziz Soumaïla

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