Revenant
sur le lancement, en 2007, du Festival Emergences à travers un entretien inédit
avec Alfred Dogbé.
En
quête de lieux pour le Festival Emergences, les 9 mercenaires couraient la
ville – Centres culturels, lycées et Maisons des jeunes. Ces dernières,
relativement nombreuses - un héritage de la dictature de Seyni Kountché (1974 –
1987) - sont devenues depuis l’effondrement des politiques publiques des
coquilles vides, utilisées a minima par des associations.
Les Ong ont empoisonné le sens de
l'association. Les gens qui y militent raisonnent non pas en bénévoles mais en
employés. C'est typique parce que, déjà, elles n'ont pas en interne
suffisamment d'énergie pour s'animer elles mêmes et, à plus forte raison, pour
déteindre sur l'environnement. Ce n'est pas visible mais c'est une des causes
profondes de l'abandon de ces lieux. A cela, il faut ajouter le fait que l'Etat
a complètement perdu de vue le domaine de la culture. Ce n'est pas seulement
vrai pour la culture, au sens la création et la diffusion artistique, mais
aussi pour l'école. Partout au Niger, la première question qu'il faut régler
dans une Maison des jeunes pour une manifestation quelconque c'est de remettre
le courant, tout simplement. Ces lieux, qui sont utilisables, même s'ils ne
sont pas aux normes, ne servent à rien et dépérissent. Le temps les mange parce
qu'ils ne sont pas animés. Il faut retrouver cette capacité de donner du sens à
ces lieux.
Les
mercenaires débarquaient dans chaque lieu, tentant de débusquer – souvent vainement
– un interlocuteur prêtant une oreille au projet. Il fallait insister, revenir,
mais quand le rendez-vous avait lieu, les responsables se montraient la plupart
du temps réceptifs, semblant même
attendre que quelque chose de cet ordre arrive – enfin !
Etait-il quand même possible de
réaliser ce Festival ? On a osé le sauter le pas, avec la conviction que le
projet se construirait dans les actes, qu'il fallait inventer un modèle de
collaboration et d'action commune - les procédures et les manières de faire -
et trouver les bonnes prises. Ça ne pouvait être que du tâtonnement. Finalement
la seule chose qu'on apportait sur la table c'était d'être en action, de
provoquer le mouvement et de forcer les institutions à suivre.
… L'information, selon laquelle telle
ou telle association était prête à se mobiliser, est remontée dans les mairies.
Nous commencions donc à trouver une écoute et à mesurer une attente de public,
d'électeurs intéressés… Il s'agissait forcément d'une action politique.
C’était
donc bien ça : Alfred imaginait son projet comme un scénario de western et il y prenait beaucoup de plaisir, malgré les
difficultés accumulées jour après jour. Il y voyait sans doute une bonne synthèse
entre le politique et l’artistique. Ses interlocuteurs étaient étonnés et
semblaient tentés d’y croire. Le charisme d’Alfred était contagieux : les
mercenaires se montraient vaillants.
… Proposer des actions qui
concernent l'ensemble du paysage artistique et culturel ne s'est encore jamais
fait au Niger dans le milieu des artistes.
Cependant
la plus grande difficulté du défi lancé par Alfred et sa Compagnie était
d’abord et surtout d’ordre financier.
… les ressources réelles
proviennent des institutions étrangères. Je me suis alors dit qu'il allait être
de plus en plus difficile d'avoir des financements pour des événements plus
modestes que ceux qui ne sont pas d'emblée les grandes manifestations - celles
dont le retentissement est à l'échelle du continent africain. C'est pourquoi
nous sommes partis du principe qu'il fallait trouver 60% des ressources ici, à
Niamey, avec des partenaires de Niamey, qu'ils soient nigériens ou non. C'est
pourquoi nous avons énormément démarché le privé.
… A l'arrivée, le Festival s'est
réalisé sur les recettes et les subventions du CCFN (Centre Culturel Franco
Nigérien) et du SCAC (Service de coopération et d’action culturelle de
l’Ambassade de France), soit environ 80% de son coût. Il y a beaucoup de chemin
à faire pour qu'on puisse dire que les institutions, à Niamey, contribuent réellement à la réalisation
du Festival en terme de financement. Mais nous n'avons pas eu à louer les
salles : ce sont les associations et les centres qui ont pris en charge
tous les coûts que pouvaient générer la mise à disposition des salles. En échange,
ils avaient les recettes : 150 personnes qui payaient 200 F CFA. C'est
symbolique, mais plein sens car ces centres se sont dit : "si on pouvait
s'assurer 2, 3 événements comme ça au cours de l'année, on passerait moins de
temps à attendre que la mairie nous envoie de l'argent pour payer les factures
d'eau et d'électricité. Ces
centres ne retrouveront pas leur vitalité uniquement par la décision des
ministères et des mairies de leur mettre de l'argent à leur disposition, mais,
en même temps, si elles retrouvent ce dynamisme-là, les autres seront obligés
de suivre.
Les
difficultés – asphyxiantes – d’organisation du festival, reconduites d’année en
année en un continuum inextricable ont laminé Alfred. Bien sûr a-t-il pu se
féliciter de maintes avancées dans la professionnalisation du théâtre nigérien
en cinq éditions successives mais l’utopie du départ avait fini par s’estomper
dans un trop grand nombre de contraintes. Alfred, au tout début, rêvait de
réveiller Niamey par une fête d’histoires.
… Je pense qu'une des
caractéristiques de Niamey, du Niamey où je vis, c'est que beaucoup gens
trouvent que ça change trop vite, que cette petite ville, où tout le monde
connaissait tout le monde, a commencé à disparaître. Il y a une nouvelle
convivialité à trouver. Aujourd'hui où est-ce que les gens font foule ? Dans
les réunions de famille : mariage, baptême, décès. Les gens vivent ça comme une
corvée : l'obligation de montrer sa tête pour qu'on ne dise pas que... C'est la
solidarité obligatoire. Il faut être poli. La contrainte et pas le don de soi.
Les espaces, où l'on fait foule avec plaisir et désir d'apporter quelque chose
au groupe social, ont commencé à se rétrécir. On continue à faire facilement
foule mais c'est comme si le sens s'était perdu. Dans ces réunions de famille,
il y a énormément de contraintes, ne serait-ce que celle des déplacements. Tout
le monde vit le mois d'août, par exemple, comme un calvaire parce que c'est le
mois des mariages - il y en a tous les week-end. ça veut dire des taxis, des nouveaux boubous, des cadeaux,
etc. La joie de participer à des fêtes familiales n'y est plus. Ce sont juste
des factures dans un environnement où on ne peut pas dire que les gens assurent
leur quotidien. C'est pourquoi je me dis qu'il y a un moyen, autour d'une pratique
comme le théâtre, de réinventer cette convivialité : sortir de chez moi, faire
400 mètres, retrouver un voisin, des amis du quartier autour d'un spectacle qui
sera l'occasion d'un échange - un commerce entre les hommes, tout simplement -,
qui peut aller dans toutes les directions. C'est l'objectif le plus fort pour
nous, et c'est aussi celui que les gens perçoivent.
… Nous sommes dans une société où
la compétition sociale a faussé les choses. … Voilà où l'on en est. Quelque
chose s'est faussé du fait que les structures anciennes, présentes dans les
mémoires, se sont chargées de contenus complètement différents, et il est
nécessaire de recharger leurs sens.
Pour les gens de ma génération, un
lieu comme la maison de la culture Dia Sékou était Le lieu culturel de Niamey.
Un lieu mitoyen du stade où le sport côtoyait le théâtre, les jeux de société,
le ping-pong, etc. Tout se faisait là. C'était un Niamey si petit que tout le
monde se retrouvait là. C'est vraiment typique de tous les espaces culturels de
ce pays : ce lieu est devenu juste une salle de réunion où se tiennent les
assemblées générales des partis et des Ong. Pourtant c'est un des plus beaux
plateaux de théâtre que je connaisse. A l'intérieur et autour, il n'y a plus
cette espèce d'énergie où l'on mobilise le désir de vivre ensemble. C'est
l'enjeu du Festival et, autour de ça, il y aura forcément du théâtre parce
qu'on ne peut pas retrouver durablement cette convivialité sans des
propositions artistiques de qualité.
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