Les six dialogues initiaux –
sécheresse au format « brève théâtrale » ou quart de spectacle
–accouchent donc d’une solide pièce de théâtre – exportable dans d’autres pays
africains et toute la Francophonie - dont les comédiens et la metteuse en scène
vont savourer la liberté contagieuse. Pour Alfred, peut-être, celle d’être
soulagé du caractère intime et sarcastique de son geste premier au profit d’un
gain de sensibilité féminine qui favorise l’appropriation du sujet par le
public.
La présentation écrite que fait
Charline Grand du spectacle traduit l’opération de vase communicant :
C’est
l’histoire d’une bigamie que chacun des protagonistes aurait voulu éviter.
Ils
sont trois. Un homme. Deux femmes.
Il
est question de choix. Il est question de partage. Il est question d’amour.
Surtout.
C’est
une histoire sans fin. Ça existe depuis toujours. Ça ne disparaîtra pas.
A
l’étroit raconte comment on accepte. Comment on lutte. Comment on peut aimer en
chiffre impair ?
Au
cours de ce spectacle, six acteurs vont donner vie à ces trois personnages.
Le
spectateur sera invité à parcourir cet univers de l’intime à travers une série
de formes relatant les raisons et sentiments de ce trio.
Le nombre d’acteurs est une clef de
la transmutation : par intervalles rythmées, le texte s’arrache de l’anecdote
pour s’embraser dans l’amplitude du chœur. Ainsi fragmenté, le temps fait
basculer le huis clos théâtral du côté de la fiction. Le spectateur y est
aspiré, d’avantage « qu’invité », à demi voyeur, comme le serait le
témoin obligé d’une scène conjugale – voisin, voisine – touché, chatouillé,
surpris par le rebondissement des voix – une, deux, trois, chœur. La
scénographie contribue largement à l’étroitesse partagée. Qui ressemble à
un rêve : comme si les cloisons de la maison disparaissaient soudain,
soulevant les réactions les plus vives du public. On sort de là mi hilare, mi
rêveur, avec une sorte de gratitude pour la rondeur d’un moment plein de
sensations intimes et collectives qui donne le sentiment d’avoir vécu
explosivement A l’étroit.
Songeons au plaisir d’Alfred :
comment l’infra-narration des premiers dialogues est devenue une vraie
histoire. C’est exactement le rêve qu’il poursuit, à Niamey, en agissant dans
le théâtre : aller provoquer ses pairs, voisins, concitoyens, etc - le
peuple auquel il appartient – avec des histoires ; soulever le couvercle –
une addition de non-dits - écrasant la société nigérienne ; briser le
silence qui, le soir venu, s’installe entre les hommes et les femmes. Que les
quartiers bruissent de ces contes tordus qui n’ont pas de fin…
Le plaisir de la fluidité des
complémentarités : comment la grammaire théâtrale française et
l’expérience professionnelle s’adaptent si aisément à l’esprit africain.
Le plaisir du haut pari de l’amitié
– Bénédicte et Charline – qui s’enrichit au fil du temps – la création à Agadez
en mars 2005, puis la tournée de 2 mois à partir de novembre 2006, de Zinder à
Bamako en passant par Niamey, Cotonou et Dakar - ; au fil des milliers de
kilomètres parcourus et des risques encourus pour chaque représentation :
les espaces casse-têtes, les défections de dernière minute, les pannes de
véhicule en plein désert, les pannes de cœur, d’argent, et la maladie toujours
en guet apens – Alfred, déjà souffrant, qui passe parfois son tour…
Sur la route, Alfred à la recherche d'un garage |
Du côté de Charline, les
découvertes qui découlent de cette amitié sont considérables : la flèche
d’Alfred au cœur de la cible, et l’Afrique dans le prisme des enjeux vitaux
poursuivis par la troupe – tous et toutes sur le pied d’égalité des répétitions
laborieuses, des joies éphémères, des lendemains incertains et parfois
écrasants. Charline découvre la fratrie africaine que lui offre Alfred :
Eric Affoukou, Adama Akilli, Aminata Issaka, Augusta Palenfo, Kokou Yemadjé et,
enfin, le fameux Béto, le chevalier servant d’Alfred, son petit frère, son
pilier. Impossible d’énumérer les moments rares avec l’un, avec l’autre, de
définir la qualité affective de chaque relation sur le fil de A l’étroit.
Béto |
Seul un montage vidéo des
captations de la pièce et des entretiens intimistes avec les protagonistes
réalisés par Charline[1] en 2006 à Bamako
pourrait rendre compte de la sensibilité et de la force du pari engagé par
cette aventure de création – au fil franco-nigérien. On rêverait d’ailleurs
qu’un documentaire se réalise sur cette base en poursuivant ces entretiens, sur
le même registre intimiste, avec la même équipe et autres proches d’Alfred,
lors de la prochaine édition du Festival Emergences au-dessus laquelle planera,
plus grand que jamais, la reconnaissance de tous.
Pour Charline il y a aussi ce
cheminement inouï débutant par la lecture de la brève théâtrale à St Brieuc et
aboutissant à la concession d’Alfred à Niamey - accueillie par les deux épouses
et la désopilante et attendrissante théorie des petits Dogbé.
Proximité délicate et émotive sur la crête du transitoire qui vient conforter, sur
le versant de la création, une complicité pleine de résolutions quant à
l’avenir d’une œuvre indispensable pour stimuler les liens – fragiles et
fertiles – entre la France et le Niger. D’un continent l’autre. Charline s’est
trouvée à cette place rare pour mesurer à quel point Alfred contenait son
écriture, bridait la profusion de ses réflexions, au profit d’une forme
d’expression, qu’il considérait comme le révélateur le plus efficace de la
violence gorgeant le continent et que d’autres pouvaient s’approprier tout en
douceur et partage.
Les petits Dogbé |
[1] Un premier
extrait de la conversation avec Alfred est présent sur ce blog ; il sera
bientôt suivi d’un deuxième.
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