mardi 17 avril 2012

A l’étroit – Alfred et Charline – Deuxième Episode



Les six dialogues initiaux – sécheresse au format « brève théâtrale » ou quart de spectacle –accouchent donc d’une solide pièce de théâtre – exportable dans d’autres pays africains et toute la Francophonie - dont les comédiens et la metteuse en scène vont savourer la liberté contagieuse. Pour Alfred, peut-être, celle d’être soulagé du caractère intime et sarcastique de son geste premier au profit d’un gain de sensibilité féminine qui favorise l’appropriation du sujet par le public.

La présentation écrite que fait Charline Grand du spectacle traduit l’opération de vase communicant :

C’est l’histoire d’une bigamie que chacun des protagonistes aurait voulu éviter.
Ils sont trois. Un homme. Deux femmes.
Il est question de choix. Il est question de partage. Il est question d’amour. Surtout.
C’est une histoire sans fin. Ça existe depuis toujours. Ça ne disparaîtra pas.
A l’étroit raconte comment on accepte. Comment on lutte. Comment on peut aimer en chiffre impair ?
Au cours de ce spectacle, six acteurs vont donner vie à ces trois personnages.
Le spectateur sera invité à parcourir cet univers de l’intime à travers une série de formes relatant les raisons et sentiments de ce trio.

Le nombre d’acteurs est une clef de la transmutation : par intervalles rythmées, le texte s’arrache de l’anecdote pour s’embraser dans l’amplitude du chœur. Ainsi fragmenté, le temps fait basculer le huis clos théâtral du côté de la fiction. Le spectateur y est aspiré, d’avantage « qu’invité », à demi voyeur, comme le serait le témoin obligé d’une scène conjugale – voisin, voisine – touché, chatouillé, surpris par le rebondissement des voix – une, deux, trois, chœur. La scénographie contribue largement à l’étroitesse partagée. Qui ressemble à un rêve : comme si les cloisons de la maison disparaissaient soudain, soulevant les réactions les plus vives du public. On sort de là mi hilare, mi rêveur, avec une sorte de gratitude pour la rondeur d’un moment plein de sensations intimes et collectives qui donne le sentiment d’avoir vécu explosivement A l’étroit.
Blanche Charline remplaçant au pied levé une comédiennenne

Songeons au plaisir d’Alfred : comment l’infra-narration des premiers dialogues est devenue une vraie histoire. C’est exactement le rêve qu’il poursuit, à Niamey, en agissant dans le théâtre : aller provoquer ses pairs, voisins, concitoyens, etc - le peuple auquel il appartient – avec des histoires ; soulever le couvercle – une addition de non-dits - écrasant la société nigérienne ; briser le silence qui, le soir venu, s’installe entre les hommes et les femmes. Que les quartiers bruissent de ces contes tordus qui n’ont pas de fin…
Le plaisir de la fluidité des complémentarités : comment la grammaire théâtrale française et l’expérience professionnelle s’adaptent si aisément à l’esprit africain.

Le plaisir du haut pari de l’amitié – Bénédicte et Charline – qui s’enrichit au fil du temps – la création à Agadez en mars 2005, puis la tournée de 2 mois à partir de novembre 2006, de Zinder à Bamako en passant par Niamey, Cotonou et Dakar - ; au fil des milliers de kilomètres parcourus et des risques encourus pour chaque représentation : les espaces casse-têtes, les défections de dernière minute, les pannes de véhicule en plein désert, les pannes de cœur, d’argent, et la maladie toujours en guet apens – Alfred, déjà souffrant, qui passe parfois son tour…
Sur la route, Alfred à la recherche d'un garage
 
Du côté de Charline, les découvertes qui découlent de cette amitié sont considérables : la flèche d’Alfred au cœur de la cible, et l’Afrique dans le prisme des enjeux vitaux poursuivis par la troupe – tous et toutes sur le pied d’égalité des répétitions laborieuses, des joies éphémères, des lendemains incertains et parfois écrasants. Charline découvre la fratrie africaine que lui offre Alfred : Eric Affoukou, Adama Akilli, Aminata Issaka, Augusta Palenfo, Kokou Yemadjé et, enfin, le fameux Béto, le chevalier servant d’Alfred, son petit frère, son pilier. Impossible d’énumérer les moments rares avec l’un, avec l’autre, de définir la qualité affective de chaque relation sur le fil de A l’étroit
Béto

Seul un montage vidéo des captations de la pièce et des entretiens intimistes avec les protagonistes réalisés par Charline[1] en 2006 à Bamako pourrait rendre compte de la sensibilité et de la force du pari engagé par cette aventure de création – au fil franco-nigérien. On rêverait d’ailleurs qu’un documentaire se réalise sur cette base en poursuivant ces entretiens, sur le même registre intimiste, avec la même équipe et autres proches d’Alfred, lors de la prochaine édition du Festival Emergences au-dessus laquelle planera, plus grand que jamais, la reconnaissance de tous.

Pour Charline il y a aussi ce cheminement inouï débutant par la lecture de la brève théâtrale à St Brieuc et aboutissant à la concession d’Alfred à Niamey - accueillie par les deux épouses et la désopilante et attendrissante théorie des petits Dogbé. Proximité délicate et émotive sur la crête du transitoire qui vient conforter, sur le versant de la création, une complicité pleine de résolutions quant à l’avenir d’une œuvre indispensable pour stimuler les liens – fragiles et fertiles – entre la France et le Niger. D’un continent l’autre. Charline s’est trouvée à cette place rare pour mesurer à quel point Alfred contenait son écriture, bridait la profusion de ses réflexions, au profit d’une forme d’expression, qu’il considérait comme le révélateur le plus efficace de la violence gorgeant le continent et que d’autres pouvaient s’approprier tout en douceur et partage.
Les petits Dogbé

[1] Un premier extrait de la conversation avec Alfred est présent sur ce blog ; il sera bientôt suivi d’un deuxième.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire